L'eau que tu ne vas pas boire
par Armando Añel Guerrero, Groupe de Travail Decoro
LA HAVANE, mai Pourquoi l'usager va-t-il si souvent aux magasins en devises à Cuba ?, pourrait se demander le visiteur étranger quand lorsqu'il entre à La Havane, il est surpris par le tumulte presque d'orgie des aspirants à consommateurs de la capitale. Depuis
le quartier historique jusqu'au Vedado, et même dans les zones résidentielles de Playa et Miramar, les établissements en dollars paraissent remplis d'un public compact, grandissant, théoriquement incompréhensible : comment peut-il arriver une chose pareille dans un
pays dont les habitants, comme on dit, sont désespérés.
Le dimanche 2 mai à 10 heures du matin. Le grand magasin La Epoca ouvre ses portes. Une multitude incontrôlable se précipite à l'intérieur, en même temps que le groupe le plus important essaie d'arriver aux escaliers. Je suis une dame qui court avec les
sourcils froncés. A coté de moi quelqu'un crie dans une attaque d'euphorie : "Au comptoir de chaussures ! Aux chaussures !" pendant que le groupe s'effrite, augmente, se concentre : On dirait qu'ils ont rabaissé le prix de quelque article de première nécessité
ou quelque chose du même genre. La dame, déjà au premier étage dévie son regard vers l'endroit où l'on exhibe les vêtements de femme. Elle se promène lentement et avec attention autour des bermudas, bikinis, blouses, robes, jeans, etc.
A la
fin, comme si elle n'était pas elle-même, elle commence à s'en aller, non pas sans s'arrêter à la section des cosmétiques. Quand enfin elle arrive à la sortie, un monsieur l'arrête avec un visage pale et des manières un peu recherchées
: "Maria, que fais-tu par ici?!", lui demande-t-il perplexe. "Eh bien, je jetais un coup d'il", lui répond la dame, et s'en va avec un coup de hanches brusque et conclusif.
Son offre limitée (une certaine quantité et peu de variété et peu de qualité), sa distribution inegale à travers la capitale, le peu d'argent de nos consommateurs, ont fait que les magasins en devises se voient pleines d'une multitude qui est dans la
plus grande partie des cas insatiable. Ceux qui épargnent sou par sou ne peuvent pas se donner le luxe de "remplir la voiture" une fois pas mois et éviter un aller et venir constant. Ceux qui cherchent un article déterminé vont et viennent constamment dans ces
magasins, il ne savent pas s'ils le trouveront ou finiront par se résigner. En dernier lieu, la grande masse dépossédée n'échappe pas à la tentation de se "rafraîchir" dans l'air conditionné et le paysage édifiant de nos établissements
en dollars. "L'eau que tu ne vas pas boire, laisse-la courir", conseillait une chanson déjà démodée, mais bien qu'à Cuba presque rien ne courre, presque, mais presque personne ne boit.
Traduction: Genevieve Tejera
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