CUBANET

25 mars, 2003



Bien que la peur dévore l'âme

Manuel David Orrio, CPI

LA HAVANE, mars (www.cubanet.org) – Vient de se terminer la semaine noire des opposants et journalistes indépendants cubains, encore sans savoir si ce sera la première d'une série. Pour le moment, environ 80 opposants, activistes des droits de l'homme et journalistes indépendants, sont toujours dans les cachots après avoir passé par des fouilles minutieuses de la police dans leurs domiciles.

Des fouilles terribles, des opérations gigantesques, où même les aspirines provenant des Etats-Unis ont été déclarées "subversives". Cela parait incroyable, mais ce fut ainsi. La police politique n'a pas seulement confisqué les ordinateurs, appareils de télécopie et documents, mais aussi ont été élevés au rang de "subversion" des médicaments américains et de machines à écrire antédiluviennes."Ils ont tout emporté", ai-je entendu dire à des voix affligées tout au long de la semaine noire.

Ces jours-ci le collègue et ami Armando Soler, sans se le proposer, a été le premier à choisir un titre pour un article : "La peur devore l'âme". Ainsi s'appelle un film excellent projeté dans la Cuba des 80, qui raconte les souffrances d'un couple d'amants victimes du racisme. Les exclus souffrent, et la peur leur dévore l'âme. Maintenant, à Cuba, une épée de Damoclès est devenue plus que réelle pour de nombreux collègues et amis. Aussi exclus pour leurs idées politiques que ce couple victime de la discrimination.

J'ai senti cette peur dévorant les âmes l'après-midi où ils ont arrêté Raúl Rivero, qui par coïncidence de la vie réside à quelques 300 mètres de chez moi. Apres plusieurs jours et nuits où se sont mêlées les actions comme faisant partie d'un réseau qui surveillait les détentions, avec celles destinées à sauver ce qui pourrait l'être au cas où on serait attrapé, j'ai profité d'une après-midi pour faire une brève promenade en compagnie de mon épouse. En revenant, la présence plus que suspecte d'une auto et d'un groupe d'individus près de chez moi m'ont fait penser qu'ils m'attendaient. J'ai appelé quelques amis et les ai avisé que peut-être il me restait quelques minutes de ce qu'à Cuba on appelle liberté. J'ai attendu, en obtenant soudain une paix intérieure que je n'avais pas eu depuis des jours. Un bruit à la porte m'a fait me dépêcher de terminer une cigarette, regarder autour de moi, aspirer les odeurs du foyer, toucher un meuble. J'ai ouvert. "Il y a une énorme opération à Peñalver et Oquendo", m'a dit un beau-frère. J'ai pu communiquer deux minutes avec une femme qui se trouvait dans la maison de Rivero. La voix entrecoupée, les demi-paroles, ne m'ont pas permis de comprendre pourquoi un poète peut aller terminer dans un cachot, exactement la quelque chose qui m'a assailli dans ces minutes inoubliables.

Des anecdotes comme celle-ci j'en ai des dizaines. Carmelo Díaz, à peine quelques heures avant d'être incarcéré, m'a raconté sa peine pour la perte d'une mallette où il gardait les originaux de son travail comme journaliste indépendant. Celle-ci avait été capturée au domicile où le Conseil Unitaire des Travailleurs Cubains a ses bureaux. Manuel Vázquez Portal, m'a-t-on dit, a déclaré aux gendarmes qui lui ont confisqué deux excellents livres de poèmes que j'ai eu le privilège d'entendre de sa voix un mois avant la semaine noire : "Tiens, prends mes livres, j'en ai encore plus dans la tête."

La peur dévore l'âme. Mais l'âme termine toujours à vaincre la peur. Beaucoup se demandent, et il faudra se demander en faisant une pause, comment il a été possible que tant de monde se laisse attraper comme des mouches dans leurs logements. Très simple : si l'on regarde la liste des personnes arrêtées, beaucoup ont le téléphone chez eux. Ils y sont restés pour être utiles en quelque chose, pour être dans le réseau de surveillance qui de manière spontanée a impliqué tout le monde. Je pense à moi, je découvre ce qui les a motivé. Quelque chose de plus puissant que la terreur de la semaine noire, quelque chose d'une valeur infinie qui s'appelle solidarité. Martin Luther King a dit dans son 'I have a dream' que "Nous devons développer notre lutte au niveau le plus élevé de la dignité et de la discipline". Et que s'est-il passé si ce n'est pas cela ?

Par-là vont deux théoriciens se trouvant à des centaines de kilomètres de La Havane, qui se consacrent parmi d'autres choses à spéculer sur si la célébration le 14 mars de l'Atelier National d'Ethique Journalistique des journalistes indépendants a été le détonateur qui a provoqué le début de la répression gouvernementale. On dit même que la chose a été mal pensée. Et bien il faudrait demander aux théoriciens depuis quand une réunion de journalistes se concentrant sur des affaires éthico-professionnelles est un motif pour déchaîner une vague répressive comme celle vécus à Cuba pendant la semaine noire. Même pas un prétexte. En passant, seulement 6 des 25 journalistes indépendants actuellement arrêtés ont participé à cet évènement.

Quand la peur dévore l'âme on peut perdre le raisonnement. Mais quand l'âme s'élève au-dessus de la peur il peut se produire une situation sociale, décrite par Martín Luther King avec ces mots :"Si un peuple est capable de trouver dans ses rangs 5 % de ses hommes disposés à aller volontairement en prison pour une cause qu'ils considèrent juste, alors il n'y aura pas d'obstacle qui puisse l'arrêter."

Peut-être, la semaine noire sera le premier indice que le peuple cubain est près de 5 %, bien que la peur dévore l'âme.

Traduction: Genevieve Tejera

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