Interview clandestine d'un prisonnier
politique dans la prison de Boniato
SANTIAGO DE CUBA, le 24 janvier (Luis Alberto Rivera, APLO) Malgré
le contrôle sévère que les fonctionnaires des prisons, le
Travail Opérationnel Secret (TOS) et le Département de la Sûreté
de l'Etat (DES) ont programmé pour empêcher que des prisons
cubaines sortent des informations sur le mode de vie et les conditions avec
lesquelles survivent les prisonniers ; ce reporter a pu passer sans être
remarqué pendant l'une des visites réglementaires et entrer dans
la prison de Boniato.
On permet seulement que les prisonniers aient des visites de deux membres de
leurs familles, mais en profitant de la multitude qui se trouvait à
l'entrée de Boniato le 17 janvier dernier, j'ai pu entrer dans le pénitencier
et réaliser clandestinement cette interview.
Boniato est un pénitencier de grande sévérité
(supposé destiné à enfermer des individus qui ont commis
des délits graves), située dans les alentours de la ville de
Santiago de Cuba.
A Boniato ils ont interné des centaines et des centaines de
prisonniers politiques et de conscience depuis que la dite Révolution de
1959 a pris le pouvoir et a créé un Etat socialiste. La majorité
de ces prisonniers n'ont seulement pas été d'accord avec le système
politique imposé par le Parti Communiste.
En 1953 Fidel Castro et un groupe d'assaillants de la caserne Moncada ont été
reclus à Boniato. Ils ont utilisé la méthode de lutte
violente. Ils ont été amnistiés avant de faire leur deuxième
année de prison.
Pendant que je rappelle ces faits, je suis arrivé au salon de
visites. C'est un patio avec plusieurs tables. Toutes étaient déjà
occupées.
Là, dans le mélange bruyant des prisonniers et de leurs
familles, je distingue Eddy Alfredo Mena Gonzalez. Mena Gonzalez est un
prisonnier politique. Il fait partie du Mouvement Cubain Jeunes pour la Démocratie,
c'est un défenseur de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, mais il est incarcéré avec 150 criminels communs dans le
Détachement 2, Section 1, de cette prison.
Délit ? Il a été l'acteur de plusieurs actes de désobéissance
civile contre le gouvernement de l'Ile, avec le président de cette
organisation, Nestor Rodriguez Lobaina (aussi prisonnier). Des protestations
pacifiques qui dans les pays libres sont protégées de droit et de
fait.
Sanction ? Mena Gonzalez a été condamné à 5 ans
de prison.
Je m'approche et je le salue. Je l'embrasse. Il s'émotionne, et aussi
je ne peux pas décrire cette scène.
Comment est la situation alimentaire à Boniato ? Je lui demande
directement.
« Réellement très mauvaise. Depuis qu'a commencé
l'année 2001 le petit déjeuner consiste en un « fongo »
(banane fruit) bouillie, un peu d' «eau de coquillettes». Le déjeuner
et le dîner consistent généralement en coquillettes et une
soupe liquide. Tout cela en portions très petites. Crois moi, il y a
beaucoup de prisonniers sous-alimentés».
Mena Gonzalez m'explique que l' «eau de coquillettes » n'est rien
d'autre que ce qu'il reste dans les marmites après avoir fait bouillir ce
genre de pâtes.
Que peux-tu me dire au sujet des soins médicaux que reçoivent
les prisonniers ici ?
« Ouf, de mal en pis ! » s'exclame-t-il. Il fait une pause et
explique : « Il y a beaucoup de prisonniers malades qui passent la journée
en se plaignant aux gardiens, et comme ceux-ci ne font pas attention aux réclamations,
alors, beaucoup de ces malades choisissent de s'attaquer eux-mêmes. Il est
fréquent qu'ils se coupent les veines ou se poignardent pour attirer
l'attention, et de cette façon arriver qu'on les emmène au médecin.
Par exemple, il y a eu le cas de prisonniers avec hypertension dont le docteur
ne s'est pas occupé parce que dans l'infirmerie il n'y a pas d'appareil
pour prendre la tension ».
Mena Gonzalez parle lentement, me regarde dans les yeux, et les mots sortent
de sa bouche avec énergie et tranquillité.
J'entre dans un thème polémique. Le gouvernement de l'Ile
affirme constamment qu'il ne maltraite pas les prisonniers politiques, mais les
organisations qui défendes les droits de l'homme assurent le contraire.
Quel est le traitement que reçoivent les prisonniers pour causes
politiques ?
« La Sûreté de l'Etat promet aux prisonniers communs de
les libérer avant leur temps s'ils nous surveillent, et même nous
attaquent si nous nous manifestons contre le gouvernement. D'autre part,
l'officier de la police politique Ramiro Ramayo « interview » systématiquement
les prisonniers politiques ; c'est une façon de nous garder sous contrôle
».
Veux-tu envoyer un message aux personnes qui hors du pays s'intéressent
à la situation des prisonniers politiques cubains ?
« Oui, bien sur ! En premier lieu, merci beaucoup pour leur préoccupation
envers nous. Tant qu'il existera des violations nous continuerons a lutter de
n'importe quelle manière, nous continuerons également à dénoncer
devant le monde la réalité des prisons cubaines ».
Mena Gonzalez, après une courte pause, a annoncé : « en
plus, je veux annoncer le jeûne que nous ferons les prisonniers politiques
de Boniato le 28 janvier prochain, pendant 24 heures, pour commémorer la
naissance de José Marti, notre Apôtre, jeûne par lequel nous
exigerons une fois de plus qu'on respecte les droits de l'homme à Cuba,
et que tous les prisonniers politiques cubains soient libérés,
sans conditions ».
Mena Gonzalez m'informe que dans cet acte de désobéissance
civile dans la prison de Boniato participeront les prisonniers politiques Luis
Antonio Vegas Barrido (incarcéré dans le Détachement 10),
Eduardo Diaz (détachement 10), Manuel Rodriguez Cabrales (Détachement
9 et Francisco Herodes Echemendia (Détachement 9).
Malgré la souffrance qui se reflète sur son visage, la fermeté
de Mena Gonzalez m'a impressionnée. Nous avons parlé de sa
famille, de ses plans futurs, sur la démocratie que nous voulons
construire, sur les libertés violées.
Sans aucun doute, Eddy Alfredo Mena Gonzalez est un Cubain courageux. Pour
cette interview il peut payer un prix élevé. Il le sait, mais il
assume cette possibilité comme un devoir. Il le fait avec plaisir, on le
voit dans ses yeux. Bien qu'il soit prisonnier à Boniato c'est un homme véritablement
libre. Personne ne peut incarcérer les bonnes idées, personne ne
peut arrêter l'Histoire.
Deux heures de ma vie se sont passées rapidement. Le temps de la
visite s'est terminé. Je suis sorti de la prison de Boniato comme je suis
entré, sans être identifié ni arrêté.
Déjà dans la rue, je me suis senti heureux de savoir qu'il
existe des Cubains comme Eddy Alfredo Mena Gonzalez. J'étais aussi
satisfait. Parce que c'est rare qu'un journaliste puisse interviewer un
prisonnier politique dans une prison cubaine, c'est une opportunité
exclusive.
Traduction: Genevieve Tejera
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