CUBANET

6 juin, 2003


DE LA PRISON
Journal

Manuel Vázquez Portal, condamné à 18 ans de prison. Prison de Boniato, Santiago de Cuba.

19 mars : Fouille de la maison et arrestation

4 avril : Procès très sommaire. Sans connaitre ni parler avec mon avocat défenseur.

24 avril : Sotie de Villa Marista pour la prison de Boniato.

25 avril (Petit matin) : Arrivée à la prison de Boniato. Placés dans des cellules d'isolement. Cellule 30. WC bouchés. Pas d'eau. Matelas sur le sol, sal.

25 avril (Après-midi) : Transfert à la cellule 31. WC. Eau. La cellule s'inonde tous les tours avec les eaux résiduelles du couloir. Tension artérielle élevée. Ils m'emmènent à l'hôpital avec des fers aux pieds et des menottes aux mains. Matelas ouaté, sal, déchiré, vieux, dur.

27 avril l: Il pleut très fort. Je découvre des fuites sur le plafond de la cellule. Abondante.

28 avril : Je reste en cellule d'isolement. Ils me tondent la tête et le visage. Ensuite je me rase. La nourriture, comme tous les jours, indescriptible. Ils nous sortent ensemble au soleil. (Normando Hernández, Próspero Gainza et moi). Ils nous ont pris les empreintes digitales.

30 avril : Visite. Yoly, Xiomy. 30 minutes. Ils ne nous permettent pas d'être en privé.

5 mai : Aujourd'hui on fils Gabriel est hospitalisé pour une opération. Les tours passent lentement. Je lis beaucoup.

8 mai : Sur le mur de plus de huit mètres je suis témoin d'un acte terrible. Les frères Agustín et Jorge Cervantes se mutinent en criant des devises contre le gouvernement. La garnison n'arrive pas à les faire descendre. Ils envoient des reclus pour qu'ils fassent tomber le mur par la force. Ils doivent avoir reçu de forts coups. Je n'ai rien su de plus sur cet événement.

12 mai : Photos, empreintes de nouveau.

14 mai : Le chef de la prison, accompagné du chef de Rééducation et le chef du pavillon où nous nous trouvons nous informent que, par ordre de la nation, nous resterons en régime de plus grande sévérité (première phase). Ils nous donnent le calendrier des visites, des cabas et de permis matrimonial, qui est comme suit : VISITES: 31 mai, 30 août, 29 novembre. CABAS : 30 juin, 30 octobre. PERMIS MATRIMONIAL : 18 juin, 18 novembre.

15 mai: Analyse de VIH et sérologie. Seringues non jetables.

15 mai (Après-midi) : Visite d'un lieutenant colonel de Villa Marista accompagné d'un major de la Sûreté à Santiago de Cuba, en plus d'Arrate (qui "s'occupe" de nous pour la Sûreté dans le pénitencier). Vilaine discussion. Ils se plaignent de mon épouse et essaient de me menacer. Le lieutenant colonel m'a traité de menteur. Je lui ai répondu que moi je ne travaille pas pour Granma.

16 mai : Tension élevée 100/150. On m'injecte du furosémide. N'ai toujours accès à aucune presse. Pas d'accès à la télévision. La nourriture continue à être infernale. Ils ne m'ont pas changé de matelas bien que je l'ai demandé à tous les chefs plusieurs fois. Ils ont mis des téléphones avec cartes magnétiques dans le pavillon où nous sommes.

17 mai : Nous sommes toujours dans des cellules d'isolement et en très grande sévérité. Les fins de semaine on ne nous donne pas le soleil. Tension artérielle normale.

19 mai : En trois occasions j'ai parlé avec les chefs pour qu'ils me permettent de parler au téléphone pour savoir ce qu'il en est de l'opération de mon fils. Ils ne me l'ont pas permis bien que tous me l'aient promis. Je n'ai pas accepté la nourriture (dîner).

Ils nous ont sorti dans la tour séparément. Normando avec un condamné à perpétuité ; Edel et Juan Carlos ; Villarreal et Nelson ; Próspero et moi. Ils disent que c'est un ordre d'en haut.

20 mai (101e anniversaire de l'indépendance de Cuba) : Je n'ai pas accepté le petit déjeuner. Je suis sorti dans la cour. J'ai alerté mes camaradas sur l'appel téléphonique à ma famille. Je n'ai pas accepté les médicaments (Vitamine C et E). Je n'ai pas accepté le déjeuner. Immédiatement "le rééducateur" Sabino m'a appelé à son bureau. Il m'a dit qu'il avait parlé avec ma soeur Xiomara et que l'opération du petit avait été remise pour juin. Je ne sais pas pourquoi. Ensuite nous avons parlé, soit disant, sur la politique, pendant 2 ½ heures. Son endoctrinement fait de la peine. Il ne semble pas un mauvais homme. Vers les 5 heures du soir est tombée une averse jolie, placide, argentée (le premier mai ici à Boniato ; j'ai sorti les mains par les barreaux pour me mouiller). C'était comme si la nature, avec une très simple herméneutique, saluait le 101e anniversaire de la proclamation de la République et en même temps pleurait pour son incarcération pendant 44 ans. Je me suis souvenu de la quincaillerie du grand-père de mon épouse, confisquée par le gouvernement de Castro ; elle s'appelait Le 20 Mai. Normando m'a fait cadeau de bonbons. Je pensais écrire quelques chroniques sur la prison, mais le journal c'est mieux.

21 mai : Je me sens plus tranquille. Savoir que Gabriel et le reste de ma famille vont bien me réconforte. Je suis arrivé à ce que la cellule ne s'inonde pas. J'ai roulé deux sacs en plastique et les ai mis entre le sol et la grille. Quelquefois l'eau entre, mais pas beaucoup. Avec l'averse d'hier j'ai eu quelques fuites. Ils ne m'ont pas changé le matelas. J'ai le corps fatigué. Je ne dors presque pas. Mais je ne vais pas me plaindre. Quand je vais prendre une décision elle sera définitive. La nourriture continue infernale. Aujourd'hui une psychologue nous a interrogés. La pauvre est de petits manuels et en plus un peu provinciale présomptueuse ! Elle nous a soumis à un test très élémentaire. Elle m'a demandé de dessiner une personne de chaque sexe. Je lui ai fait quelques petits gribouillages enfantins. Elle a voulu me faire un profit de personnalité de phrases que je devais associer avec la première chose qui me passerait par la tête. Je me suis beaucoup amusé. Je lui ai fabriqué des phrases en forme de sentences ou proverbes philosophiques (pseudo philosophiques, je veux dire), et bien que j'ai été sincère je me suis un peu moqué. Ils devront ressusciter Sigmund Freud, ou au moins Pavlov. Elle aussi est l'un des petits robots du MININT - lieutenant. S'ils ne savent pas penser avec leur propre cerveau je ne sais pas ce qu'ils peuvent arriver à savoir - à trouver - sur ceux des autres. Je ne sais pas ce qu'elle penserait du Dr. Rafael Aviza ou du Dr. Licea, avec lesquels une fois j'ai parlé de ces sujets. Ils ont une pensée statique à cause de l'endoctrinement et de la crainte. Ils sont incapables d'une analyse qui se sépare de ce qu'ils croient être des vérités inamovibles et répétées par le pauvre pouvoir qui les protége et les arborent. Ils se font passer pour aristotéliques. La mayéutique pour eux n'a jamais existé, et ils ont même une eurístique particulière. Hors de leurs significations ils sont incapables de voir derrière. Je m'amuserai beaucoup à l'avenir. La moquerie sagace est maintenant ma seule arme. J'ai déjà trouvé leur mauvaise jambe : ils veulent sembler cultivés. Ils ne savent pas où ils se sont mis, bien que je ne les sous estime pas, je crois que ce sera drôle. Ils sont imposteurs comme personne ne peut imaginer.

J'ai peu de nouvelles : nous continuons sans avoir accès à la presse, rien de radio, rien de télévision. Rien de rien. Je m'habitue. Je lis presque toute la journée. Le soir c'est impossible. Il n'y a pas de lumière dans la cellule. "La Guerre et la Paix" me continue à sembler un roman monumental. "Bomarzo" me plait de nouveau. J'ai lu "Le Parfum" et il n'a semblé bien. J'en suis mort de rire avec "Jeux pour les mortels" et "Le coeur du serpent". Ce sont des histoires de science fiction de quand les soviétiques croyaient à la fiction de globaliser le communisme. Je n'ai rien lu de plus sympathique dans na vie. L'histoire s'est terminée avec ces écrivains. Les pauvres petits ! Qui allaient penser que cella arriverait aussi rapidement ? Je lis beaucoup la Bible, une en très mauvais état que l'on ma prêtée. Je lis en ce moment "Harry Potter et la pierre philosophique". C'est dommage que j'ai déjà vu les films. J'ai aussi lu un livre très intéressant sur la vision chrétienne de l'origine de l'Univers et de l'homme, "Il y a un créateur qui se préoccupe pour nous". Bien que ce soit dirigé aux Témoins de Geovah cela m'a beaucoup intéressé. J'ai appris des choses qui sont aussi bonnes pour les catholiques. Enfin, 'ai lu plus de choses, mais je ne fais pas un inventaire. Pendant les après-midi avant de me doucher je fais des exercices. Malgré la mauvaise nourriture je me maintiens en forme. J'ai pris beaucoup de soleil. Il y a presque une semaine qu'ils m'emmènent dans la cour en plein midi, parmi les ultraviolets et les infrarouges qui me provoqueront un cancer de la peau ou je terminerai de "couleur Santiago de cuba".

Mes excréments sont comme ceux des nourrissons et grâce à Dieu ma famille m'a apporté du lait, sinon je serais mort de faim ! Ma famille aussi a du m'apporter des draps, une couverture, une serviette, du dentifrice, une moustiquaire, etc. Ici ils fournissent les prisonniers seulement avec des shorts et une chemise sans manches ni col. Miguel Hernández avait raison quand il a invoqué Dante et a écrit dans sa cellule : "Laissez toute espérance", et cela fut sous Franco. Si celui d'ici l'avait attrapé il n'aurait rien pu écrire même pas "La nourrisse des oignons" avant de mourir de tuberculose.

Mais tout n'est pas mal. La nuit je vois les étoiles entre les barreaux, bien que je passe le jour en voyant aussi les étoiles. Je me souviens beaucoup de César Vallejo quand dans une prison du Pérou il a écrit "Trilce". Ici le brouhaha ne laisse pas non plus faire son testament et on met aussi les humérus mauvais. Le meilleur de tout est quand nos geôliers nous prêtent le soleil pendant une heure et nous voyons quelques oiseaux en plein vol. Je n'ai pas accepté la nourriture. Pouah ! Infâme. Les cochons vomisseraient.

22 mai : Très intéressant : nous sommes sorti au soleil, aujourd'hui ils m'ont sorti avec Edel García. Je suis devenue son psycho thérapeute particulier. Je n'ai pas accepté le déjeuner. Pouah ! Encore. Normando Hernández ne cesse pas d'avoir une diarrhée pour commencer avec une autre. Próspero Gainza et Antonio Villarreal sont toujours forts. Avec Nelson Aguiar je n'ai pas pu parler. Nous n'avons pas été en même temps dans la cour avec Juan Carlos Herrera le guantanaméen - si Joséito Fernández le connaissait il lui ferait une autre chanson. Je n'ai pas pu avoir de conversation qu'à travers les grilles qui donnent à la cour. C'est un type amusant. Comment vont les 68 autres qui sont dispersés dans les prisons cubaines ? Je saurai quelque chose quand je recevrai une visite de ma famille. Les prisonniers, bien que n'ou n'ayons pas de contact avec eux, nous sommes solidaires et ils attaquent le système plus que nous. Nous nous avons choisi de laissez le monde nous défendre. Sous la pression de la prison presque tout est impossible, bien qu'il y ait toujours quelque chose qui puisse se faire. Les gardiens sont toujours respectueux. Ce sont de pauvres gens qui reçoivent des ordres et il me semble qu'ils sont comme apeurés.

J'ai déjà découvert la façon de suffoquer un peu la mauvaise odeur que donnent les WCs, avec une bouteille en plastique qui contenait de l'huile. Je l'ai remplie d'eau et l'ai introduite dans le trou nauséabond ; le diamètre du trou est le même que celui de la bouteille. Quel soulagement ! Cela repose un peu le nez, bien qu'il y ait certains horaires où mon "bouchon de WC" inusuel ne protége même pas de la mauvaise odeur envahissante. Que diraient les "collègues" exemptés de la Table Ronde s'ils découvraient aux USA une prison avec ces magnifiques conditions hygiénico-sanitaires ? Ne pas oublier que cette prison a été construite il y a plus de 60 ans. Par ici sont passés Fidel Castro, Indamiro Restano et moi. C'est un miracle qu'elle ne soit pas enfoncée sans laissez de traces dans la Vallée de Puerto Boniato.

Je n'ai pas accepté la nourriture (dîner). Pouah de nouveau ! Les livres se sont terminés. Heureusement que j'ai la Bible que l'on m'a prêtée et que le "bouchon de WC" empêche les rats de passer par ma cellule.

23 mai: Je suis sorti dans la cour. J'ai pris mes vitamines. Normando m'a de nouveau donné des bonbons. Le capitaine Vázquez? est préoccupé parce que je ne veux pas accepter la nourriture. Je lui ai dit qu'elle était très mauvaise. Il m'a dit de faire un effort. Je lui ai dit qu'elle me faisait horreur, qu'il demande qu'on l'améliore. Il a voulu m'expliquer les conditions dans lesquelles se trouve le pays. Je lui ai dit que précisément je me trouvais en prison parce que je voulais améliorer les conditions du pays. Le problème, à cause de la nourriture ? peut s'aggraver entre lui et moi. Je ne suis pas disposé ni n'est mon estomac préparé pour un pot au feu de ce genre. Je n'ai pas accepté le déjeuner. Ne pas oublier la description que j'ai faite de ce qu'ils appellent nourriture. Il ne faut pas s'étonner ; si dans la rue, supposément en liberté, c'est impossible, que peut-on attendre d'ici à l'intérieur ?

L'après-midi ils ont "renforcé" la nourriture. J'ai accepté le pain - je l'ai déjà décrit - et un petit morceau de poulet. Il faut applaudir : ils ont donné de l'eau froide ! Pourquoi pas le faire tous les tours et non pas nous obliger à boire l'eau du robinet ? Ils ont donné aujourd'hui un peu de 'zambumbia' - que l'on dit café. J'ai pensé aux représailles quand seront publiées ces pages. Je suis prêt. Si pour le simple fait de faire le travail de journaliste ils m'ont condamné à 18 ans de privation de liberté, rien ne peut être plus injuste et démesuré. J'ai vu avec stupéfaction l'expulsion des "diplomates" cubains des USA. Il semble qu'ils n'ont pas voulu suivre l'exemple de Castro incarcérant les opposants et journalistes. N'importe qui dirait que là-bas il y a un espace pour ceux qui pensent et écrivent différemment.

24 mai (Samedi, sans soleil) : Jour gris et humide. Hier soir il a plu. J'ai terminé de lire "Jusqu'à ce que la mort nous sépare", de John Dickson Carr.


Traduction: Genevieve Tejera

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