DE
LA PRISON
Journal
Manuel Vázquez Portal, condamné à
18 ans de prison. Prison de Boniato, Santiago de Cuba.
19 mars : Fouille de la maison et arrestation
4 avril : Procès très sommaire. Sans connaitre
ni parler avec mon avocat défenseur.
24 avril : Sotie de Villa Marista pour la prison de Boniato.
25 avril (Petit matin) : Arrivée à la prison
de Boniato. Placés dans des cellules d'isolement. Cellule
30. WC bouchés. Pas d'eau. Matelas sur le sol, sal.
25 avril (Après-midi) : Transfert à la cellule
31. WC. Eau. La cellule s'inonde tous les tours avec les eaux
résiduelles du couloir. Tension artérielle élevée.
Ils m'emmènent à l'hôpital avec des fers
aux pieds et des menottes aux mains. Matelas ouaté,
sal, déchiré, vieux, dur.
27 avril l: Il pleut très fort. Je découvre
des fuites sur le plafond de la cellule. Abondante.
28 avril : Je reste en cellule d'isolement. Ils me tondent
la tête et le visage. Ensuite je me rase. La nourriture,
comme tous les jours, indescriptible. Ils nous sortent ensemble
au soleil. (Normando Hernández, Próspero Gainza
et moi). Ils nous ont pris les empreintes digitales.
30 avril : Visite. Yoly, Xiomy. 30 minutes. Ils ne nous permettent
pas d'être en privé.
5 mai : Aujourd'hui on fils Gabriel est hospitalisé
pour une opération. Les tours passent lentement. Je
lis beaucoup.
8 mai : Sur le mur de plus de huit mètres je suis
témoin d'un acte terrible. Les frères Agustín
et Jorge Cervantes se mutinent en criant des devises contre
le gouvernement. La garnison n'arrive pas à les faire
descendre. Ils envoient des reclus pour qu'ils fassent tomber
le mur par la force. Ils doivent avoir reçu de forts
coups. Je n'ai rien su de plus sur cet événement.
12 mai : Photos, empreintes de nouveau.
14 mai : Le chef de la prison, accompagné du chef
de Rééducation et le chef du pavillon où
nous nous trouvons nous informent que, par ordre de la nation,
nous resterons en régime de plus grande sévérité
(première phase). Ils nous donnent le calendrier des
visites, des cabas et de permis matrimonial, qui est comme
suit : VISITES: 31 mai, 30 août, 29 novembre. CABAS
: 30 juin, 30 octobre. PERMIS MATRIMONIAL : 18 juin, 18 novembre.
15 mai: Analyse de VIH et sérologie. Seringues non
jetables.
15 mai (Après-midi) : Visite d'un lieutenant colonel
de Villa Marista accompagné d'un major de la Sûreté
à Santiago de Cuba, en plus d'Arrate (qui "s'occupe"
de nous pour la Sûreté dans le pénitencier).
Vilaine discussion. Ils se plaignent de mon épouse
et essaient de me menacer. Le lieutenant colonel m'a traité
de menteur. Je lui ai répondu que moi je ne travaille
pas pour Granma.
16 mai : Tension élevée 100/150. On m'injecte
du furosémide. N'ai toujours accès à
aucune presse. Pas d'accès à la télévision.
La nourriture continue à être infernale. Ils
ne m'ont pas changé de matelas bien que je l'ai demandé
à tous les chefs plusieurs fois. Ils ont mis des téléphones
avec cartes magnétiques dans le pavillon où
nous sommes.
17 mai : Nous sommes toujours dans des cellules d'isolement
et en très grande sévérité. Les
fins de semaine on ne nous donne pas le soleil. Tension artérielle
normale.
19 mai : En trois occasions j'ai parlé avec les chefs
pour qu'ils me permettent de parler au téléphone
pour savoir ce qu'il en est de l'opération de mon fils.
Ils ne me l'ont pas permis bien que tous me l'aient promis.
Je n'ai pas accepté la nourriture (dîner).
Ils nous ont sorti dans la tour séparément.
Normando avec un condamné à perpétuité
; Edel et Juan Carlos ; Villarreal et Nelson ; Próspero
et moi. Ils disent que c'est un ordre d'en haut.
20 mai (101e anniversaire de l'indépendance de Cuba)
: Je n'ai pas accepté le petit déjeuner. Je
suis sorti dans la cour. J'ai alerté mes camaradas
sur l'appel téléphonique à ma famille.
Je n'ai pas accepté les médicaments (Vitamine
C et E). Je n'ai pas accepté le déjeuner. Immédiatement
"le rééducateur" Sabino m'a appelé
à son bureau. Il m'a dit qu'il avait parlé avec
ma soeur Xiomara et que l'opération du petit avait
été remise pour juin. Je ne sais pas pourquoi.
Ensuite nous avons parlé, soit disant, sur la politique,
pendant 2 ½ heures. Son endoctrinement fait de la peine.
Il ne semble pas un mauvais homme. Vers les 5 heures du soir
est tombée une averse jolie, placide, argentée
(le premier mai ici à Boniato ; j'ai sorti les mains
par les barreaux pour me mouiller). C'était comme si
la nature, avec une très simple herméneutique,
saluait le 101e anniversaire de la proclamation de la République
et en même temps pleurait pour son incarcération
pendant 44 ans. Je me suis souvenu de la quincaillerie du
grand-père de mon épouse, confisquée
par le gouvernement de Castro ; elle s'appelait Le 20 Mai.
Normando m'a fait cadeau de bonbons. Je pensais écrire
quelques chroniques sur la prison, mais le journal c'est mieux.
21 mai : Je me sens plus tranquille. Savoir que Gabriel et
le reste de ma famille vont bien me réconforte. Je
suis arrivé à ce que la cellule ne s'inonde
pas. J'ai roulé deux sacs en plastique et les ai mis
entre le sol et la grille. Quelquefois l'eau entre, mais pas
beaucoup. Avec l'averse d'hier j'ai eu quelques fuites. Ils
ne m'ont pas changé le matelas. J'ai le corps fatigué.
Je ne dors presque pas. Mais je ne vais pas me plaindre. Quand
je vais prendre une décision elle sera définitive.
La nourriture continue infernale. Aujourd'hui une psychologue
nous a interrogés. La pauvre est de petits manuels
et en plus un peu provinciale présomptueuse ! Elle
nous a soumis à un test très élémentaire.
Elle m'a demandé de dessiner une personne de chaque
sexe. Je lui ai fait quelques petits gribouillages enfantins.
Elle a voulu me faire un profit de personnalité de
phrases que je devais associer avec la première chose
qui me passerait par la tête. Je me suis beaucoup amusé.
Je lui ai fabriqué des phrases en forme de sentences
ou proverbes philosophiques (pseudo philosophiques, je veux
dire), et bien que j'ai été sincère je
me suis un peu moqué. Ils devront ressusciter Sigmund
Freud, ou au moins Pavlov. Elle aussi est l'un des petits
robots du MININT - lieutenant. S'ils ne savent pas penser
avec leur propre cerveau je ne sais pas ce qu'ils peuvent
arriver à savoir - à trouver - sur ceux des
autres. Je ne sais pas ce qu'elle penserait du Dr. Rafael
Aviza ou du Dr. Licea, avec lesquels une fois j'ai parlé
de ces sujets. Ils ont une pensée statique à
cause de l'endoctrinement et de la crainte. Ils sont incapables
d'une analyse qui se sépare de ce qu'ils croient être
des vérités inamovibles et répétées
par le pauvre pouvoir qui les protége et les arborent.
Ils se font passer pour aristotéliques. La mayéutique
pour eux n'a jamais existé, et ils ont même une
eurístique particulière. Hors de leurs significations
ils sont incapables de voir derrière. Je m'amuserai
beaucoup à l'avenir. La moquerie sagace est maintenant
ma seule arme. J'ai déjà trouvé leur
mauvaise jambe : ils veulent sembler cultivés. Ils
ne savent pas où ils se sont mis, bien que je ne les
sous estime pas, je crois que ce sera drôle. Ils sont
imposteurs comme personne ne peut imaginer.
J'ai peu de nouvelles : nous continuons sans avoir accès
à la presse, rien de radio, rien de télévision.
Rien de rien. Je m'habitue. Je lis presque toute la journée.
Le soir c'est impossible. Il n'y a pas de lumière dans
la cellule. "La Guerre et la Paix" me continue à
sembler un roman monumental. "Bomarzo" me plait
de nouveau. J'ai lu "Le Parfum" et il n'a semblé
bien. J'en suis mort de rire avec "Jeux pour les mortels"
et "Le coeur du serpent". Ce sont des histoires
de science fiction de quand les soviétiques croyaient
à la fiction de globaliser le communisme. Je n'ai rien
lu de plus sympathique dans na vie. L'histoire s'est terminée
avec ces écrivains. Les pauvres petits ! Qui allaient
penser que cella arriverait aussi rapidement ? Je lis beaucoup
la Bible, une en très mauvais état que l'on
ma prêtée. Je lis en ce moment "Harry Potter
et la pierre philosophique". C'est dommage que j'ai déjà
vu les films. J'ai aussi lu un livre très intéressant
sur la vision chrétienne de l'origine de l'Univers
et de l'homme, "Il y a un créateur qui se préoccupe
pour nous". Bien que ce soit dirigé aux Témoins
de Geovah cela m'a beaucoup intéressé. J'ai
appris des choses qui sont aussi bonnes pour les catholiques.
Enfin, 'ai lu plus de choses, mais je ne fais pas un inventaire.
Pendant les après-midi avant de me doucher je fais
des exercices. Malgré la mauvaise nourriture je me
maintiens en forme. J'ai pris beaucoup de soleil. Il y a presque
une semaine qu'ils m'emmènent dans la cour en plein
midi, parmi les ultraviolets et les infrarouges qui me provoqueront
un cancer de la peau ou je terminerai de "couleur Santiago
de cuba".
Mes excréments sont comme ceux des nourrissons et
grâce à Dieu ma famille m'a apporté du
lait, sinon je serais mort de faim ! Ma famille aussi a du
m'apporter des draps, une couverture, une serviette, du dentifrice,
une moustiquaire, etc. Ici ils fournissent les prisonniers
seulement avec des shorts et une chemise sans manches ni col.
Miguel Hernández avait raison quand il a invoqué
Dante et a écrit dans sa cellule : "Laissez toute
espérance", et cela fut sous Franco. Si celui
d'ici l'avait attrapé il n'aurait rien pu écrire
même pas "La nourrisse des oignons" avant
de mourir de tuberculose.
Mais tout n'est pas mal. La nuit je vois les étoiles
entre les barreaux, bien que je passe le jour en voyant aussi
les étoiles. Je me souviens beaucoup de César
Vallejo quand dans une prison du Pérou il a écrit
"Trilce". Ici le brouhaha ne laisse pas non plus
faire son testament et on met aussi les humérus mauvais.
Le meilleur de tout est quand nos geôliers nous prêtent
le soleil pendant une heure et nous voyons quelques oiseaux
en plein vol. Je n'ai pas accepté la nourriture. Pouah
! Infâme. Les cochons vomisseraient.
22 mai : Très intéressant : nous sommes sorti
au soleil, aujourd'hui ils m'ont sorti avec Edel García.
Je suis devenue son psycho thérapeute particulier.
Je n'ai pas accepté le déjeuner. Pouah ! Encore.
Normando Hernández ne cesse pas d'avoir une diarrhée
pour commencer avec une autre. Próspero Gainza et Antonio
Villarreal sont toujours forts. Avec Nelson Aguiar je n'ai
pas pu parler. Nous n'avons pas été en même
temps dans la cour avec Juan Carlos Herrera le guantanaméen
- si Joséito Fernández le connaissait il lui
ferait une autre chanson. Je n'ai pas pu avoir de conversation
qu'à travers les grilles qui donnent à la cour.
C'est un type amusant. Comment vont les 68 autres qui sont
dispersés dans les prisons cubaines ? Je saurai quelque
chose quand je recevrai une visite de ma famille. Les prisonniers,
bien que n'ou n'ayons pas de contact avec eux, nous sommes
solidaires et ils attaquent le système plus que nous.
Nous nous avons choisi de laissez le monde nous défendre.
Sous la pression de la prison presque tout est impossible,
bien qu'il y ait toujours quelque chose qui puisse se faire.
Les gardiens sont toujours respectueux. Ce sont de pauvres
gens qui reçoivent des ordres et il me semble qu'ils
sont comme apeurés.
J'ai déjà découvert la façon
de suffoquer un peu la mauvaise odeur que donnent les WCs,
avec une bouteille en plastique qui contenait de l'huile.
Je l'ai remplie d'eau et l'ai introduite dans le trou nauséabond
; le diamètre du trou est le même que celui de
la bouteille. Quel soulagement ! Cela repose un peu le nez,
bien qu'il y ait certains horaires où mon "bouchon
de WC" inusuel ne protége même pas de la
mauvaise odeur envahissante. Que diraient les "collègues"
exemptés de la Table Ronde s'ils découvraient
aux USA une prison avec ces magnifiques conditions hygiénico-sanitaires
? Ne pas oublier que cette prison a été construite
il y a plus de 60 ans. Par ici sont passés Fidel Castro,
Indamiro Restano et moi. C'est un miracle qu'elle ne soit
pas enfoncée sans laissez de traces dans la Vallée
de Puerto Boniato.
Je n'ai pas accepté la nourriture (dîner). Pouah
de nouveau ! Les livres se sont terminés. Heureusement
que j'ai la Bible que l'on m'a prêtée et que
le "bouchon de WC" empêche les rats de passer
par ma cellule.
23 mai: Je suis sorti dans la cour. J'ai pris mes vitamines.
Normando m'a de nouveau donné des bonbons. Le capitaine
Vázquez? est préoccupé parce que je ne
veux pas accepter la nourriture. Je lui ai dit qu'elle était
très mauvaise. Il m'a dit de faire un effort. Je lui
ai dit qu'elle me faisait horreur, qu'il demande qu'on l'améliore.
Il a voulu m'expliquer les conditions dans lesquelles se trouve
le pays. Je lui ai dit que précisément je me
trouvais en prison parce que je voulais améliorer les
conditions du pays. Le problème, à cause de
la nourriture ? peut s'aggraver entre lui et moi. Je ne suis
pas disposé ni n'est mon estomac préparé
pour un pot au feu de ce genre. Je n'ai pas accepté
le déjeuner. Ne pas oublier la description que j'ai
faite de ce qu'ils appellent nourriture. Il ne faut pas s'étonner
; si dans la rue, supposément en liberté, c'est
impossible, que peut-on attendre d'ici à l'intérieur
?
L'après-midi ils ont "renforcé" la
nourriture. J'ai accepté le pain - je l'ai déjà
décrit - et un petit morceau de poulet. Il faut applaudir
: ils ont donné de l'eau froide ! Pourquoi pas le faire
tous les tours et non pas nous obliger à boire l'eau
du robinet ? Ils ont donné aujourd'hui un peu de 'zambumbia'
- que l'on dit café. J'ai pensé aux représailles
quand seront publiées ces pages. Je suis prêt.
Si pour le simple fait de faire le travail de journaliste
ils m'ont condamné à 18 ans de privation de
liberté, rien ne peut être plus injuste et démesuré.
J'ai vu avec stupéfaction l'expulsion des "diplomates"
cubains des USA. Il semble qu'ils n'ont pas voulu suivre l'exemple
de Castro incarcérant les opposants et journalistes.
N'importe qui dirait que là-bas il y a un espace pour
ceux qui pensent et écrivent différemment.
24 mai (Samedi, sans soleil) : Jour gris et humide. Hier
soir il a plu. J'ai terminé de lire "Jusqu'à
ce que la mort nous sépare", de John Dickson Carr.
Traduction: Genevieve Tejera
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