CUBANET

6 février, 2003



Requiem pour La Havane

Jorge Alberto Aguiar

LA HAVANE, février (www.cubanet.org) – Je regarde de loin la ville; Arcadie d'après-guerre, trou noir sur la carte.

Je traverse la baie sur le vieux bateau de Regla. La Havane, plus que jamais ressemble à un bourg. Elle n'a pas besoin de maquillage bon marché d'un soir ni des propos galants d'un étranger ivre, mais de se remplir de vie, de secouer sa longue retraite provinciale.

On parcourre ses rues et ne trouve pas un café où on peut s'asseoir et boire un thé ou des infusions, donner rendez-vous à ses amis, connaître des gens, comme était l'usage dans les années quatre-vingt dans ce que l'on appelait les maisons du thé.

Il n'existe même pas une taverne pour profiter des vins nationaux, maintenant que l'hiver souffle avec force.

Tous les endroits pour touristes sont planifiés avec l'uniformité et la monotonie préfabriquée de petites tables en plastique, de la musique salsa et des poulets frits.

Les rares services offerts en monnaie nationale sont de très mauvaise qualité et dans leur majorité sont donnés par un personnel mal poli et "curieux".

Les jeunes sentent (et en souffrent) le manque d'une vie culturelle libre et authentique. Ils désirent quelque chose qui ne se réduise pas aux activités schématiques officielles d'hommages, de récitals, cercles littéraires, déclamations, cercles de lecture (où on les invite à lire mais, de façon contradictoire, la littérature la plus contemporaine n'existe pas). Les jeunes ont besoin d'une vie culturelle qui ne soit pas celle du style pompeux de ceux que l'on appelle les promoteurs culturels et leurs improvisations ennuyeuses qui, tôt ou tard, terminent en remerciant notre révolution pour notre "indépendance" et "souveraineté".

Chaque fois que La Havane, par exemple, fête son anniversaire pendant le mois de novembre, nous pouvons témoigner de ce provincialisme patriotique vêtu du plus simpliste des historicismes, puisque toujours on marque la festivité dans la chronologie de la fondation de la ville et de la Colonie. On exclue de cette façon l'étape républicaine, on essaie d'effacer précisément les années où la capitale a eu le plus de splendeur.

On parle à peine de l'expansion urbaine et de l'éclectisme architectural qui a connu son meilleur moment justement avant 1959. Jamais avant ou après La Havane n'a été aussi jeune et belle.

Entre les décennies de quarante et cinquante La Havane voulait être moderne, se dépouiller d'autant de créolisme rustique. Son envie d'imiter l'étranger pouvait terminer dans le cauchemar du vice et de la nuit libertine mais aussi dans le rêve d'une ville cosmopolite, ouverte au flux culturel, à l'échange des modes et des nouvelles idées.

Ou sont donc les librairies bien achalandées, les imprimeries efficaces, les dizaines et dizaines de cinémas, les stations de radio qui émettaient la meilleure musique cubaine et maintenaient informés les auditeurs sur les rythmes étrangers? Où se trouvent les carnavals de La Havane ? Oú sont ses cafés, ses bistros et bars ? Et ces magasins et boutiques pour les riches et les pauvres, et non seulement pour ceux qui ont des dollars comme c'est le cas aujourd'hui ?

Bien que l'on organise des fêtes et des bals populaires, des expositions, des foires de produits artisanaux, des récitals de poésie, des expositions de peinture ; enfin, malgré les bonnes intentions de quelques autorités et citoyens pour y injecter du sang nouveau, surtout au centre historique, nous ne percevons presque jamais la joie si elle n'est pas acompagnée de certaines tensions provoquées par le malaise et l'incertitude de la survivance quotidienne.

La Havane semble être un cimetière en ruines. Une fosse commune de cadavres souriants qui vivent dans une non-histoire pour utiliser une phrase si chère à Virgilio Piñera.

Des rues obscures et pleines de trous, des éboulements, des réceptacles débordant d'ordures, des bâtiments sans peinture, des jardins détruits, des arcades noyées dans les eaux d'égouts ; une vie diurne et nocturne réduite à la routine des feuilletons de télé, l'alcool, le suicide physique et moral.

La Havane a beaucoup vieilli pendant les 44 dernières années ; elle est déjà une vieille dame décrépie et famélique qui vit entourée de prothèses et de médicaments faits à la maison qui ne servent à rien.

Tous les soirs, quand la ville se souvient de son enfance ou voit les photos de sa jeunesse, elle ne peut que pleurer. "Des larmes noires" comme la chanson de Matamoros remplissent ses yeux et les miens, que je ferme fortement pour imaginer une Havane qui autrefois nous a appartenu au-delà de tout orgueil personnel et de toutes les haines avec lesquelles les opportunistes et politiciens prétendent aujourd'hui éduquer les nouvelles générations.

J'arrive à mon but, l'ancien quai de Luz qui survit dans la pénombre des trafiquants et des prostituées, de policiers qui entre les colonnes coloniales se glissent en silence.

Je regarde le ciel. Il va pleuvoir. Ils ont annoncé de nouveau une vague de froid. Je traverse la rue. C'est peut-être la saison d'hiver la plus longue du siècle. Je respire profondément et je rentre chez moi sans lever les yeux, comme un fantôme solitaire au milieu d'une ville solitaire.

Traduction: Genevieve Tejera

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